Lettre de vœux d’un frère de la diaspora

Article : Lettre de vœux d’un frère de la diaspora
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1 février 2013

Lettre de vœux d’un frère de la diaspora

Parmi mes collègues de longue date, je ne peux oublier François avec qui nous avons passés beaucoup de temps ensemble. Il vit actuellement en Belgique, et après plusieurs années de silence, il a décidé de m’écrire, encouragé par mon blog et les thématiques que je développe.

Mais c’est surtout brosser la situation qui prévaut dans notre pays qui justifie la raison de sa missive.  Je vous présente ici, l’essentiel de son message.

« Mon cher frère,

Je ne saurais passer par mille chemins pour te faire parvenir de mes nouvelles en même temps que mes vœux de nouvel an. Plus  pragmatique et me permettant de mieux te faire ressentir mon état d’esprit, le choix de l’écriture n’est pas un hasard en soi et toi-même tu le sais, pour avoir accepté très tôt de faire de l’écriture la principale source de ton âme.

Cependant, je préfère commencer par les vœux puisque je voudrais un peu m’appesantir sur le deuxième aspect de ma missive, à savoir te dire de vive voix ce que je ressens pour mon pays, un pays que je chéris bien. Il y a eu beaucoup d’événements aussi décevants que bénéfiques. Toutefois, je souhaite pour toi et toute la famille mes sincères vœux de bonheur, de santé, de réussite et de longévité. Que 2013 soit une année de réalisation de tes projets les plus chers et que cette nouvelle année puisse apporter surtout la paix dans notre pays.

Tu te souviendras que j’ai quitté Bangui il y a plusieurs années déjà, exactement seize bonnes années car mon départ date de 1997. Mais mon affection pour ce pays n’a jamais cessé malgré tout ce que j’ai subi perdant certains membres de ma famille. Aujourd’hui, j’ai décidé de te parler des raisons qui m’ont poussé à quitté la République Centrafricaine pour la Belgique où j’ai pu avoir une famille après mon mariage.

Tout a commencé pendant les mutineries de 1996 qui ont secoué notre pays. Habitant le quartier Ouago, nous avons subi quelques dégâts matériels. En 1997 lors de la deuxième mutinerie, les dégâts ont été revus à la hausse. Nous avons eu la malchance de quitter le quartier Ouago pour habiter à Petevo, là où nous avions pensé être en sécurité. Nous avions tort de réfléchir de cette manière. Car les mutineries de 1997 ont occasionné la destruction de la totalité de notre maison familiale et la mort de mes deux grands-parents et de une de mes tantes maternelles. Le choc a été terrible et l’émotion au comble. Mes parents ont perdu tout ce qu’ils ont mis plusieurs années à construire. Il fallait tout recommencer à zéro et personne ne pouvait imaginer si le lendemain pouvait être meilleur, même pas un marabout expérimenté.

Mon père avait alors décidé que nous allions quitter le pays pour la Belgique avec l’aide d’un de ses anciens amis qui s’y trouvait déjà. Je ne me suis pas remis de t’avoir quitté, toi qui comptait tant pour moi. Nous étions comme deux inséparables et la distance s’était installée quelque temps après mon départ. Je suis quand même resté en contact avec le pays à travers les informations que je suivais sur RFI et les autres radios africaines. Au fil du temps, je me suis fait une place dans la société belge et après mon diplôme d’ingénieur en Chimie organique, j’ai été embauché en 2008 comme professeur de collège dans un établissement de Bruxelles. J’ai fait la connaissance de Sonia, une Belge, et notre mariage a été célébré en octobre 2010. Je suis actuellement le père d’un garçon, Alphonse.

En 2003, j’ai appris comme tout Centrafricain de la diaspora sur les ondes de RFI qu’après plusieurs mois en maquis, le Général François Bozizé, l’ancien Chef d’Etat Major du Président Ange Félix Patassé avait réussi un coup d’Etat, appelé « sursaut patriotique » par celui-ci. Quelques années après, il y a eu les élections de 2005 et  la création des groupes rebelles qui ne cesseront plus leur lutte armée.

Après le dialogue politique Inclusif (DIP) et les accords de Libreville de 2008 parrainés par le regretté Doyen de l’Afrique centrale son Excellence Ali BONGO, Président du Gabon, je croyais que le pays allait finir avec ce cycle de violence qui ne profite guère au développement et à la cohésion sociale. En décembre dernier, j’ai appris la progression de la coalisions SELEKA – regroupant certains groupes rebelles qui sévissaient déjà dans le nord et le nord-est – et parmi lesquels certains avaient signé les accords de Libreville. La violence a ressurgi et avec elle l’impasse.

J’ai eu la chance de tomber sur ton blog et depuis, j’y jette un coup d’œil de temps en temps sur les sujets que tu traites. Mais le billet qui m’a touché le plus est celui où tu parles de la situation de la RCA et ayant comme titre Oh Dieu, vient sauver mon pays car il est mal-en-point. C’est un cri qui me va droit au cœur. Mais j’avoue que je n’ai pas été surpris par les événements que traverse la RCA. Nous avons toujours une part de responsabilité dans tout ce qui arrive dans notre pays.

Ces dernières années, nous avons nourri et fait grandir la haine entre nous. Cette haine s’est installée quand nous avons choisi de favoriser le clanisme. Ce mot a détruit tout ce que nos ancêtres ont construit et bâtit de beau pour notre nation. Les gouvernants qui se sont succédés au pouvoir en ont fait leur priorité au lieu de sortir le pays de l’impasse qu’il traverse depuis des décennies. La corruption s’est généralisée et rien ne peut se faire sans la cola ou ngoro (en langue Sango).

Nous n’aimons pas notre pays et tant que nous continuons à aimer que nos intérêts personnels et pas l’intérêt général, nous ne sortions pas de notre trou, un trou de plus en plus béant. Les rebellions ont trouvé leur eldorado dans les régions non-contrôlées par nos forces armées qui ne sont que l’ombre d’eux-mêmes. J’ai suivi, attristé, l’interview d’un habitant de Bambari qui expliquait que les autorités ainsi que les militaires ont simplement quitté cette ville et d’autres au fur et à mesure que les rebelles de la coalisions SELEKA avançaient. J’ai également suivi le discours du Chef de l’Etat accusant les militaires de ne pas faire leur travail et remerciant le Président Tchadien Idriss DEBY ITNO et les forces tchadiennes d’avoir intervenu pour arrêter la progression des rebelles sur Bangui. Mais nous savons tous pourquoi les militaires ne pouvaient pas se battre : soit ils n’avaient pas le courage d’affronter les forces ennemies qui selon eux, étaient nettement plus armées qu’eux, soit les instructions étaient de ne pas se battre.  

Si la coalition rebelle SELEKA avait trouvé quelques raisons pour prendre les armes et se faire entendre, il faut comprendre que de nos jours, le pouvoir appartient au peuple et c’est au peuple de le confier à des tierces pour l’exercer pendant un temps donné. Il faut que nous comprenions que les armes ne peuvent pas résoudre tous nos problèmes. La preuve en est que le pays est plongé à chaque fois qu’il y a des mouvements politico-militaires.

Une fois, je t’ai demandé de chercher à quitter la RCA et à venir t’installer en Occident, tu as été catégorique : je préfère rester dans mon pays avec ma dignité que d’aller me faire humilier ailleurs. Mais ce que tu ne sais pas, c’est que tu es plus humilié chez toi qu’ailleurs. La preuve en est que depuis plusieurs décennies, les salaires n’ont pas connu de changement alors que les prix des denrées alimentaires ne cessent de grimper de manière exponentielle. Tu me diras que c’est plutôt la souffrance mais pas l’humiliation car tu aimes mettre les mots à leur place mais quelle est la différence entre l’humiliation et la souffrance ? Aucune car les deux font allusion à un état d’esprit hors de soi, des tortures que nous subissons. Tu te diras patriote alors que ceux qui se disent patriotes ont des comptes bancaires garnis en Europe et aux Etats Unis, de belles maisons, une vie descente et une histoire exceptionnelle alors qu’il trahisse leurs pays.

Ici, en tant que professeur de collège, tu me diras que je suis sous-estimé avec un diplôme d’Ingénieur. Comparativement, si j’étais en Centrafrique, je serai sans doute assistant à l’université mais certainement avec un salaire beaucoup plus maigre ; je gagne 4 fois plus qu’un assistant chez nous et je me contente de cela.

Enfin, sache que même si l’objectif de mon écrit n’est pas de te dissuader afin de rejoindre un pays occidental pour exploiter au mieux tes compétences, sache que je suis toujours disposé au non de notre amitié insécable à t’aider si l’idée de quitter la RCA t’effleurait. Je ns aurai finir en te jetant un bouquet de fleurs pour tes billets qui décrivent les tars de notre société en particulier et celles de la société africaine en général.

Bien à toi,

Ton ami et frère François. »

Après avoir lu la lettre, je l’ai reprise et l’avait lu plusieurs fois par la suite. Certes François avait raison sur certains points concernant tout ce qui se passe chez nous mais on ne fuit pas son destin. Je resterai en Centrafrique quoiqu’il en soit et peu importe le prix à payer. Je dois rester faire des efforts pour aider à faire sortir mon pays de ce gouffre.

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